En quelques mots… peux-tu te présenter ? comment es-tu arrivée à ActionAid France ?

J’ai toujours été intéressée par le problème du changement climatique, peut-être parce que le pays d’où je viens, la Bolivie, subit depuis très longtemps les conséquences du réchauffement. Au début, j’ai pensé étudier la biologie… mais je ne voulais pas me cantonner à un travail d’analyse. Le dérèglement du climat est un sujet politique et social. Et c’est pourquoi j’ai choisi la sociologie.

Après mes études, j’ai travaillé pendant cinq ans dans diverses associations mobilisées contre le réchauffement climatique, à différents niveaux. Je me suis beaucoup investie dans des missions d’information et de sensibilisation, pour démocratiser le sujet… A présent, le sujet est beaucoup mieux connu et compris, et on ne peut plus attendre, il faut absolument venir en aide aux personnes les plus vulnérables, dès maintenant.

Alors j’ai repris des études, sur la coopération internationale et la lutte contre les inégalités de genre. Parce que les femmes sont en première ligne, dans tous les pays, face aux catastrophes naturelles et autres conséquences du dérèglement climatique…

Et c’est en cherchant un stage, dans le cadre de mon master, que j’ai découvert ActionAid France. Ç’a été une belle découverte car j’ai senti que nous partagions les mêmes valeurs et les mêmes objectifs. J’ai beaucoup appris pendant ce stage, et quand un poste de chargé∙e de campagnes a été créé sur le thème de la justice climatique, j’ai tout de suite postulé ! J’ai été recrutée en mars 2024, grâce à un financement européen.

Pourquoi t’es-tu rendue à Bakou en novembre ?

Nous nous sommes posé beaucoup de questions avant de décider que je devrais me rendre à Bakou, pendant la deuxième semaine de négociation de cette 29ème Conférence des Etats signataires de l’accord de 1992 contre le réchauffement climatique : la COP 29.

Tous les ans, une délégation d’ActionAid y participe, comme ONG "observatrice" des négociations, à même de présenter des informations et recommandations aux négociatrices et négociateurs.

J’y suis allée pour aider notre fédération à se faire entendre, notamment auprès des représentant·e·s de la France, et pour prendre des contacts et des informations qui nous permettront de peser dans les négociations de l’an prochain au Brésil, où nous espérons que le sujet de l'agriculture aura une place importante.

Quel rapport entre l’agriculture et le climat ?

Pendant très longtemps, il n’a été question que du rôle des énergies fossiles dans l’émission de gaz à effet de serre. Et c’est vrai que l’exploitation du pétrole, du gaz et du charbon sont le premier facteur du réchauffement climatique.

Mais l’agriculture industrielle contribue elle aussi au réchauffement climatique. D'après un rapport de la Banque Mondiale, publié à l'occasion de la COP29, l'agriculture produit à elle seule un tiers des gaz à effet de serre.

Ces émissions sont liées aux méthodes industrielle de production : élevages intensifs qui augmentent les émissions de méthane des animaux, usage d'engrais dont la décomposition génère des gaz plus dangereux que le dioxyde de carbone, déforestation et monocultures qui réduisent la couverture végétale terrestre... Elles sont aussi liées à l’usage du pétrole pour les machines, le transport des matières premières et de la production d'un bout à l'autre de la planète... et la production d’engrais de synthèse.

Seulement, on n’a pas parlé d’agriculture avant la COP 27, trente ans après la signature de l’accord international sur le climat !

Le sujet reste très peu abordé, et il n’est pas question pour l’instant de revenir sur le modèle actuel. Or, ce n’est pas à coup de "nouvelles technologies" qu’on peut réduire les émissions de gaz à effet de serre d’une agriculture mondialisée et gourmande en pétrole. Il faut promouvoir d’autres systèmes agricoles et alimentaires.

Notre objectif, c’est de mettre l’agriculture au centre des négociations et de défendre l’agro-écologie. Mais les lobbies de l’agro-industrie sont très puissants. C’est pourquoi nous devons construire une alliance assez large, avec des organisations de défense de l’environnement et surtout des organisations de défense des droits des paysan∙ne∙s, des femmes, des peuples autochtones…

De quoi a-t-il été question cette année ?

La COP 29 était consacrée au financement des mesures de réduction du changement climatique, de réparation des dégâts et d’adaptation. C'est pourquoi on l'a présentée comme "la COP de la finance". Il a très peu été question d’autres sujets. Et peu de chef∙fe∙s d’Etat ont fait le déplacement…

Le dernier objectif de financement datait de 2009. A cette date, 23 pays (dont les Etats-Unis et la plupart des pays européens, mais aussi l'Australie ou le Japon), se sont engagés collectivement à financer les actions entreprises par les autres pays pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre et s’adapter au changement climatique, à hauteur de 100 milliards de dollars états-uniens par an.

D’après plusieurs expertises indépendantes, il faudrait en fait une contribution dix fois plus importante pour espérer un changement.

ActionAid et d’autres organisations militent pour un objectif de 1500 milliards de dollars par an, versés sous forme de subventions et non de prêts qui ne font que creuser le déficit des Etats les plus pauvres de la planète. Nous revendiquons aussi le "fléchage" d'une partie de ces fonds vers des actions qui permettent aux pays les plus durement touchés de s'adapter au dérèglement climatique et de réparer les dégâts causés par les inondations, tempêtes et autres sécheresses qui se multiplient.

La COP 29 a finalement abouti à un accord très décevant. Une promesse de 300 milliards par an seulement, essentiellement sous forme de financements déjà prévus ou de prêts… Cela dit, le plus affligeant, pour moi, ce n’est pas cette promesse trop vague et sans rapport avec les besoins, mais la manière dont les négociations se sont déroulées.

L’Union européenne et les Etats-Unis, notamment, n’ont pas "joué le jeu" des discussions multilatérales. Leurs négociatrices et négociateurs ont privilégié les discussions non publiques, avec tel ou tel pays, et caché jusqu’au bout les sommes négociées. Ils avaient clairement pour objectif de diviser les groupes de pays avec lesquels ils négociaient.

Comment ActionAid s’est-elle mobilisée ?

Notre objectif, avec les autres ONG de solidarité internationale et de défense de l’environnement, c’était de maintenir l’unité autour d’une demande de 1500 milliards de dollars de subventions par an aux pays "les moins avancés" ou "en voie de développement" pour faire face au changement climatique.

J’ai vraiment cru que cette session de négociations n’allait pas aboutir, d’autant plus que certains pays se sont sentis insultés par les premiers chiffres qui circulaient. Pour moi, l’Azerbaïdjan ne s'est pas montré à la hauteur de la tâche qui lui a été confiée avec la présidence de la COP. Ses représentant∙e∙s auraient pu, par exemple, rendre publiques plus tôt les premières propositions des pays appelés à financer la transition et l’adaptation au changement climatique.

Avec d'autres organisations de la société civile, nous avons organisé des actions symboliques pour rendre visibles nos revendications, en marge des négociations proprement dites. Nous avons par exemple matérialisé, sous la forme d'une facture longue de 10 mètres, la dette des Etats les plus anciennement industrialisés vis-à-vis du reste du monde, ou décerné chaque jour le "Prix du Fossile du jour" au pays s’étant montré le plus hostile à la réduction des gaz à effet de serre et à la justice climatique…

Mais les ONG comme ActionAid ont aussi un rôle d’expertise important. Par exemple, ActionAid Etats-Unis envoie depuis douze ans à la COP un chargé de plaidoyer qui connaît très bien les mécanismes de financement existants, ceux qui sont possibles et ceux qui pourraient être créés. Des représentant∙e∙s d’ONG peuvent rencontrer les négociateur∙rice∙s de leur pays ou de leur groupe de pays pour demander des nouvelles des négociations, présenter des recommandations…

Que retiens-tu de cette première participation à une COP sur le climat ?

Ces espaces internationaux de discussion et de négociations entre Etats sont de moins en moins populaires, on entend beaucoup d’organisations ou de personnes dire qu’elles n’y croient plus… mais de plus de plus de lobbyistes des énergies fossiles et de l’agro-industrie les fréquentent.

Cette année, près de 1800 représentant∙e∙s d’entreprises spécialisées dans l’exploitation des énergies fossiles étaient présent∙e∙s à la COP. Seuls trois pays (l’Azerbaïdjan, le Brésil et la Turquie) comptaient davantage de délégué∙e∙s ! Il faut absolument maintenir la présence d’autres organisations, qui défendent l’intérêt général et contre-carrent leurs discours.

J’ai ressenti une forme de mépris vis-à-vis de la société civile, mais aussi des pays les plus vulnérables face au dérèglement climatique. L’échec de cette COP et l’auto-complaisance des pays riches a été difficile à vivre. Mais j’ai aussi senti une forme d’espoir et de force par la mobilisation. Nous nous sommes battu∙e∙s jusqu’au bout pour dénoncer les stratégies par ces pays pour échapper à leurs obligations et soutenir les pays les plus vulnérables dans leurs demandes.

Cette COP a aussi été une opportunité pour construire de nouvelles alliances. En participant à des rencontres et des ateliers thématiques, qui se tenaient en marge des sessions de négociation proprement dite, j’ai pu présenter ActionAid France à différentes organisations, avec qui nous pourrons peut-être travailler dans les mois qui viennent…

Justement, que prévois-tu ?

En 2024, nous avons publié un rapport et lancé une pétition pour appuyer notre demande à BNP Paribas de désinvestir des entreprises impliquées dans la déforestation. La banque nous a écrit pour nous indiquer qu’elle faisait de son mieux mais qu’elle ne pouvait pas indiquer quelles entreprises elle finance ou non. En résumé : "circulez, il n’y a rien à voir !".

Nous avons donc décidé de rendre nos demandes plus visibles dans l’espace public. Et cela va commencer par une action de rue à Paris en janvier, en partenariat avec des "artivistes"...

Nous travaillons aussi avec l’ONG "Action Contre la Faim", sur une analyse des actions engagées par la France pour respecter ses engagements internationaux sur l’alimentation et l’agriculture. En effet, nous avons de bonnes raisons de penser que la France finance en fait des activités agro-industrielles, nocives pour le climat et pour les paysan∙ne∙s, et nous voulons montrer que la lutte contre la faim et la défense de l’agro-écologie ne sont pas incompatibles.

Le projet européen #RebootFood, qui finance en grande partie ces campagnes pour la justice climatique et l’agro-écologie devrait également permettre, dès 2025, des échanges entre des jeunes engagé∙e∙s pour l’agro-écologie en France et au Sénégal, et la production d'outils ludiques et pédagogiques pour faire connaître nos analyses et nos demandes.

Et nous avons bien sûr comme horizon la prochaine COP, qui se tiendra au Brésil. Nous espérons un retour en force de la société civile pour faire avancer la transition des systèmes alimentaires vers des modèles agro-écologiques respectueux des humains et de la planète.

Photo : mobilisation du 19 novembre à l'entrée d'une des salles de négociations de la COP 29 © Jess Midwinter / ActionAid

COP 29 : le point de vue de notre chargée de campagne