Mise à jour du 31 janvier 2025 : notre lettre ouverte semble avoir convaincu la marque de renoncer à sa plainte contre le syndicat. Nous restons attentifves à l'évolution de la situation, et demandons le respect du droit du travail dans l'ensemble de sa chaîne de valeur.

Quelques informations de contexte

"Z Production" est une usine située à Prato, près de Florence, qui a produit pendant des années exclusivement pour Montblanc, marque appartenant au groupe de luxe suisse Richemont, comme les bijoux Cartier, les montres Vacheron Constantin ou les vêtements Chloé.

D'après l'ONG suisse Public Eye, qui soutient leur mobilisation, les employé·e·s de l'usine expliquent avoir travaillé 12 heures par jour, 6 à 7 jours par semaine pendant des années – ce qui n’est pas rare dans les ateliers de confection en Italie. Sous la supervision des responsables de production de Montblanc, leurs tâches auraient notamment consisté à coudre le logo métallique de Montblanc sur les sacs en cuir de luxe.

Fin 2022, les employé·e·s, pour la plupart immigré·e·s, commencent à se syndiquer, et rejoignent le mouvement "8x5", qui milite en Italie pour le respect d’un maximum de 8 heures de travail par jour, 5 jours par semaine. En février 2023, le conflit social est couronné de succès, le syndicat Sudd-Cobas négocie un accord qui apporte au personnel, entre autres, des contrats en bonne et due forme, des horaires de travail réguliers de 8 heures, 5 jours par semaine, et un droit aux congés maladie et aux vacances. Mais la fête tourne vite court...

Les employé·e·s racontent qu’en mars 2023, Richemont réduit fortement le volume des commandes passées à "Z Production", jusqu’à les arrêter totalement au 31 décembre 2023. La production est stoppée, le personnel est licencié. Ils et elles reprochent à Montblanc d’avoir réagi à la syndicalisation, à l’amélioration des conditions de travail et donc aux coûts de production plus élevés en mettant un terme aux commandes et en les transférant vers d’autres usines de l’agglomération florentine.

Auprès des médias, Montblanc justifie la fin de la production par le fait que "Z Production" n’aurait pas respecté le code de conduite de Richemont pour les sous-traitants. La question se pose toutefois de savoir pourquoi Montblanc met fin à sa collaboration avec l’usine l’année même où le personnel s’est syndiqué et a effectivement obtenu de meilleures conditions de travail.

Le samedi 26 octobre 2024, le syndicat Sudd-Cobas a appelé à une journée d’action internationale de solidarité avec les travailleurs et travailleuses. Des actions ont eu lieu dans plus de 10 villes différentes en Italie, en Suisse et en Allemagne, dont Rome, Milan, Florence, Bologne, Venise, Naples, Bari, Turin, Bâle, Zurich et Berlin.

Une action a également été menée à Genève, où le groupe a son siège social, devant le magasin Montblanc de la Place du Port. L’action a été organisée entre autres par le syndicat genevois SIT et la CGAS (Communauté genevoise d’action syndicale).

Des employé·e·s d’usines chinoises à Prato, en Italie, ont remporté leur combat pour des horaires de travail décents. Peu après, le groupe de luxe suisse Richemont, qui y faisait fabriquer des sacs en cuir, en a délocalisé la production. Les travailleurs et travailleuses qui ont perdu leur emploi et leur syndicat se mobilisent... mais la marque demande une interdiction de manifester devant ses boutiques !

Faire grève est un droit : traduction en français de notre "déclaration de solidarité"

Faire grève est un droit. Non aux mesures anti-syndicales. Non à l'ordre de bâillon pour les travailleur∙se∙s de Montblanc.

Le secteur du luxe est de plus en plus sous les projecteurs en raison des nombreuses violations des droits humains qui touchent la chaîne d'approvisionnement. Le soi-disant "made in Italy" est un concept théorique qui dissimule souvent des productions obtenues dans des pays où les droits fondamentaux ne sont pas respectés, ou en Italie par une cascade d'usines et d'ateliers sous-traitant, où des personnes, souvent des immigrées, travaillent sans aucun droit et pour des salaires de misère. L'exemple des travailleurs et travailleuses sous-traitant∙e∙s de Montblanc, licencié∙e∙s après s'être syndiqué∙e∙s, est un exemple flagrant.

Nous exprimons notre inquiétude et notre indignation face aux mesures anti-syndicales demandées par la marque Montblanc contre le syndicat SUDD Cobas. L'idée même d'interdire toute forme de protestation des travailleur∙se∙s dans un rayon de 500 mètres de la boutique de la marque est sans précédent et menace les fondements de la liberté de manifestation et des droits syndicaux.

Cela constituerait une interdiction sans précédent dans l'histoire de la République italienne et, combinée avec le projet de loi sur la sécurité n°1660 actuellement en discussion au Parlement, par lequel le gouvernement Meloni souhaite créer des sanctions pénales contre l'organisation de "piquets de grève" devant les portes des entreprises, cela constitue une série d'événements très graves et inquiétants.

Par cet appel à la solidarité, nous demandons à Montblanc de respecter la liberté d'association et la liberté de manifestation et de cesser immédiatement toutes les actions juridiques contre le syndicat SUDD Cobas.

Notre solidarité va au syndicat SUDD Cobas, ainsi qu'aux travailleur∙se∙s et employé∙e∙s de "Z Production" et Eurotaglio, respectivement le fournisseur et le sous-fournisseur de la marque Montblanc. Leur lutte a eu le mérite de mettre en lumière une réalité inacceptable : des quarts de travail éreintants de 12 à 14 heures, 6 jours par semaine, et des salaires inférieurs à 3 euros de l'heure, pour produire des sacs vendus des milliers d'euros chacun. Après l'application de la convention collective nationale et des horaires de travail de 8 heures pour 5 jours par semaine pour ces travailleurs, les commandes ont été annulées, entraînant ainsi leur licenciement.

Il est probable que la production ait été délocalisée, comme le syndicat l'a dénoncé dès le début et comme cela a été documenté dans le documentaire vidéo Inside Italy's Designer Sweatshop produit par Al Jazeera. Il est à supposer qu'une "délocalisation sur site" ait eu lieu : une relocalisation des commandes à quelques kilomètres, mais qui a cependant rétabli les mêmes conditions d'exploitation contre lesquelles le syndicat avait lutté à Z Production et Eurotaglio.

Le simple fait que Montblanc engage une telle mesure anti-syndicale est préoccupant pour la santé de la démocratie en Italie : nous ne pouvons pas rester silencieux∙ses pendant que des multinationales et des fonds financiers tentent d'intervenir de plus en plus directement dans la vie politique et sociale, imposant des mesures, des choix et des directions pour affirmer des intérêts privés contre l'intérêt public et collectif, et contre la démocratie elle-même.

Nous rejetons l'idée de la ville et de l'espace public proposée par Montblanc et Richemont (le fonds financier multimilliardaire propriétaire de la marque) : nous ne pouvons pas accepter une idée de ville où les travailleur∙se∙s sont empêché∙se∙s de manifester là où les biens qu'ils et elles produisent sont exposés et vendus, une idée de ville dans laquelle une multinationale peut obtenir la restriction de la liberté d'expression des membres de la société jugés incommodes parce qu'ils et elles souhaitent traverser ces espaces publics avec un objectif qui ne soit pas marqué par la consommation et l'intérêt privé.

La déclaration originale, signée par 46 organisations en Italie et dans le monde (dont ActionAid France), est en ligne sur le site de la coalition internationale pour des vêtements propres (la "Clean clothes campaign").

Lettre ouverte

Honte à la marque Montblanc